Léon Braconnier

Histoire de vocation

Alors que le soleil s’est levé depuis belle lurette sur l’horizon 2000, il semble opportun de faire resurgir la question soulevée il y a une vingtaine d’années par les fondateurs du Cliärrwer Kanton: quel avenir le Grand-Duché de Luxembourg réserve-t-il à sa pointe septentrionale?

En 1979, année de fondation de notre association, cet avenir paraissait très compromis. L’analyse poussée des données sociales et économiques confirmait les craintes émises par René Maertz, Michel Wehrhausen et leurs amis. Il est vraisemblable que sans l’intervention de notre association, certaines mesures en vue d’un redressement n’auraient pas vu le jour. Toujours est-il que la situation d’aujourd’hui, fort heureusement, n’est plus celle d’il y a 20 ans. A la suite de la création du SICLER (Syndicat Intercommunal pour la Promotion du Canton de Clervaux), des zones industrielles régionales ont pu être créées avec l’aide résolue du pouvoir central. Ainsi, plus de 1100 personnes travaillent aujourd’hui dans les zones de Clervaux/Eselborn/Lentzweiler, Hosingen et Troisvierges, de l’oxygène pour un canton en mal d’emplois.

Dans bien d’autres domaines les choses ont bougé. Les acteurs locaux,, souvent avec l’aide de l’Etat, ont fait preuve de créativité et d’initiative. Citons les nombreux projets innovatifs LEADER, les réalisations remarquables des syndicats intercommunaux, la foule d’initiatives, souvent privées, dans les domaines de la culture, du tourisme et de l’agriculture.

Et pourtant, au vu de ce qui est à l’ordre du jour de celles et de ceux qui décident de l’avenir de notre pays, on serait tenté d’affirmer que la pointe septentrionale, qui nous tient tant à cœur, est loin de béné-ficier d’un statut prioritaire quand il s’agit des grands investissements du futur. Les projets d’envergure gravitent, et cela peut se comprendre, autour des centres urbains du pays. Alors qu’une certaine rivalité semble se cristalliser entre la capitale et le sud du Grand-Duché, notamment en ce qui concerne l’implantation des centres d’intérêt national, le Nord du pays reste, semble-t-il, quelque peu à l’écart. Mais n’y a-t-il pas là le danger d’un déséquilibre quant au potentiel de développement des différentes régions ? On a parfois des difficultés à prendre au sérieux ce « nouveau partenariat » entre le monde urbain et rural tant conjuré par certains politiciens. La population de la région ardennaise n’atteindra jamais les caractéristiques d’une masse critique. Avec une faible représentation au parlement, elle ne dispose évidemment pas d’un lobby comparable à celui des autres régions. Les espoirs reposent donc sur la grandeur d’esprit des 60 représentants du peuple luxembourgeois, représentants qui devraient veiller à garantir à tous les habitants du territoire une équivalence des conditions de vie.

D’un autre côté, la situation sur le terrain n’est pas toujours aisée. L’analyse de la structure de la popu-lation révèle toujours un certain déséquilibre. Ce que René Maertz appelait en son temps la « désertification intellectuelle » n’est sans doute pas de nature à rassembler les forces vives du canton autour d’une vision ambitieuse de l’avenir. Pourtant, c’est de cela qu’il s’agit. Il faut en premier lieu une vision ambitieuse et globale pour notre région. Aussi longtemps que la planification d’une canalisation et que la tonte des pelouses communales avant la kermesse priment sur des concepts orgueilleux pour l’Oesling, le pouvoir central pourra se reposer sur ses lauriers. Aussi longtemps que les forces de la région s’occuperont à organiser des fêtes de printemps plus ou moins arrosées, il ne faudra pas s’éton-ner de ne pas être pris au sérieux.

Arriverons-nous à distiller du magma de projets locaux plus ou moins importants l’essence de l’avenir? Arriverons-nous à présenter un plan d’ensemble pour le canton, un plan né de notre imagination, de nos idées ? Ce plan aura-t-il une chance d’être soutenu dans le monde des administrations et des partis politiques ? Faudra-t-il à nouveau s’exercer en démarches plus ou moins humiliantes pour obtenir un tantinet de subside ? Ne faudrait-il pas, en vue de faciliter les initiatives régionales ou locales, simplifier certaines procédures ?

Tout au long des 20 années du « Cliärrwer Kanton », nous nous sommes vus confrontés à des idées (trop) simples quand il s’agissait de discuter de l’avenir de nos 332 kilomètres carrés. Trop souvent, on essayait de nous consoler en insistant sur la vocation agricole et touristique du canton, alors que l’évolution sur le terrain, depuis des décennies, allait dans la direction opposée. Le langage des chiffres est on ne peut plus clair :

– Personnes employées à 100% dans l’agriculture au canton de Clervaux (source STATEC) :
Personnes employées à 100% dans l'agriculture au canton de Clervaux

Aussi étions-nous plus qu’étonnés de découvrir dans une lettre récente du Ministère de l’Economie que le Nord avait une « vocation agricole, accessoirement touristique ». Alors qu’il est certain que l’agriculture, sous toutes ses formes, et avec tout son potentiel, aura toujours son rôle à jouer dans notre belle contrée, il n’y a pas de doute : ce secteur pourra être difficilement considéré comme la principale « vocation » du Nord du pays. Si les paysages continueront à porter fièrement l’empreinte d’une activité agricole, le secteur ne saurait assurer une activité suffisante pour permettre la survie de nos villages et de nos cités. Il faut cesser de vouloir maintenir à tout prix des concepts d’avant-hier, ayons le courage de voir la réalité en face.

Nous assistons à une fulgurante évolution dans le domaine de l’informatique, alors que la toile que tisse l’Internet devient de plus en plus dense. La globalisation devient une entité concrète et palpable, elle touche, ou touchera à plus ou moins longue échéance toutes les régions de la planète. Une planète dont les habitants découvrent chaque jour davantage qu’ils sont tous des voisins. Il faut revoir les concepts et les idées d’hier, il faut repenser les idées toutes faites avec leurs vérités en demi-teinte.

Partout dans notre pays la population augmente. Pour notre région, il s’agit de garantir le plus grand nombre d’emplois dans un large éventail de branches. Ne nous leurrons pas : l’imagination et la flexibilité sont les premiers atouts et donc les grands défis qui nous attendent. Et ils n’attendront pas longtemps.